Un débat sur la LGV organisé par Carré d’info: « Le lien entre réseau à grande vitesse et développement n’a jamais été prouvé »

Les participants au premier débat du mois organisé par Carré d’info et la médiathèque José Cabanis étaient nombreux mardi 5 février pour discuter du projet de la LGV à Toulouse. Les échanges se sont organisés autour d’une question, certes un peu triviale : la LGV est-elle indispensable au développement de Toulouse?
Afin d’étoffer les contributions qui avaient déjà afflué sur le site internet les jours précédents, Robert Marconis, professeur émerite des université en géographie, spécialiste des transports en commun et de l’aménagement urbain, a échangé pendant près de deux heures avec les auditeurs. De son, côté RFF n’a pas pu répondre favorablement à notre invitation; aussi les nombreuses questions sur la pertinence du tracé de la ligne à grande vitesse n’auront malheureusement trouvé que peu d’écho.Robert Marconis, professeur de géorgraphie et spécialiste des transports a participé au débat du mois sur la LGV / Photo Carré d'infoRobert Marconis, professeur de géographie et spécialiste des transports a participé au débat du mois sur la LGV / Photo Carré d’info 

Un patchwork de lignes

« En France, on n’a pas eu de vrai réseau à grande vitesse, cela a été conçu de façon empirique, on a ajouté des lignes les unes après les autres. De grandes villes comme Bordeaux ou Toulouse s’en sentent exclues. » En guise d’introduction, Robert Marconis est revenu sur l’histoire du réseau à grande vitesse français avec la construction de trois grandes axes ferroviaires :

 

  • Paris-Lyon (Axe sud-est)
  • la ligne Atlantique Paris-Tours et Paris-Le Mans pour gagner du temps pour se rendre à Brest ou dans l’Ouest
  • la ligne Lille-Paris avec la construction du tunnel sous la Manche.

 

« A l’époque, on commence sans doute à voir les avantages de la grande vitesse qui crée un trafic induit important et donne des perspectives économiques. On se met à tracer un grand schéma directeur aux début des années quatre-vingt dix. On prend la carte et on dessine des lignes à grande vitesse partout. »

S’agissant de Toulouse, on envisage alors de la relier à Paris soit par Bordeaux soit par Limoges, la fameuse ligne POLT ( Train pendulaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse abandonné en 2003 alors que la région Midi-Pyrénées en avait financé des études).

« Le seul problème c’est qu’à l’époque on n’avait pas réfléchi à la façon dont on allait financer tout ça. Et les finances ne sont plus ce qu’elles étaient. Il y aussi le phénomène de la décentralisation avec la volonté pour l’Etat d’associer les collectivités territoriales à la réflexion comme au financement (c’est l’exemple de la LGV Est). De plus dans la vallée du Rhône, il y a eu de vives oppositions notamment pour atteinte au paysage. »

 

La vitesse pour la croissance, une « incantation »

Robert Marconis est formel : « Il n’y a aucun de lien de cause à effet entre l’arrivée d’une infrastructure à grande vitesse facilitant les déplacements et le développement économique ». Et de s’interroger : « C’est bien beau de voir la LGV arriver à Toulouse pour 2020 mais est-on effectivement prêt? Le tissu urbain et économique est-il préparé? »

Au cœur d’une période où l’Etat se désengage (décentralisation), on voit émerger en France de très grandes métropoles dont certaines sont en concurrence. « Un des atouts de réussite de ces métropoles est d’être intégrée au réseau aérien et au réseau à grande vitesse. Et il faut dire que la perspective de pouvoir faire Paris-Bordeaux en trois heures, a incité certaines entreprises qui rayonnent dans tout le Sud-Ouest à déménager de Toulouse vers Bordeaux ou Montpellier. D’où ce sentiment que si Toulouse reste en dehors du réseau à grande vitesse, cela pourra être à terme un handicap quelque soit la qualité de la desserte à venir ».

 

« De tout temps, avec les réseaux ferrés ou les autoroutes, le discours des élus a toujours été de dire : donnez-moi la grande vitesse et le développement viendra avec. Sauf que cela relève de l’incantation, cela n’a jamais été scientifiquement prouvé cette espèce d’automaticité. »

 

Le grand projet Sud-Ouest (GPSO piloté par RFF), chapeaute deux branches : une Bordeaux-Toulouse; une autre Bordeaux-Pays Basque. « Mais il y a une donne nouvelle, la grande vitesse n’est pas seulement un outil pour aller à Paris mais aussi des habitudes, des relations se sont développées avec les métropoles de l’est mais aussi une connexion avec l’Espagne (Catalogne) », souligne le géographe.

 

« Le désenclavement peut tuer une région »

« De tout temps, avec les réseaux ferrés ou les autoroutes, le discours des élus a toujours été de dire : donnez moi la grande vitesse et le développement viendra avec. Sauf que cela relève de l’incantation, cela n’a jamais été scientifiquement prouvé cette espèce d’automaticité. On espère pouvoir conquérir des marchés extérieurs mais on oublie que le désenclavement fonctionne aussi en sens inverse et bénéficie à des intérêts extérieurs. Des marchandises ou des activités extérieures peuvent venir investir le tissu économique local. Le désenclavement peut tuer une région si elle est trop exposée à la concurrence et si son appareil productif n’est pas suffisamment préparé. »

 

« On a un peu oublié aussi que la LGV ne devait pas être un cul-de-sac mais aussi aller vers Narbonne, Lyon… Barcelone. »

 

Robert Marconis cite pour exemple la fin des industries métallurgiques ariégeoises avec l’arrivée des chemins de fer au XIXe siècle faisant face à la concurrence de Saint-Étienne ou du Creusot.

« J’ai toujours le sentiment que dans cette région et par le passé, on a nourri de très grand projets avec l’idée qu’ils ne se réaliseraient jamais mais on n’a jamais été prêt à saisir les opportunités qui allaient s’en dégager. » Le géographe  trouve curieux par exemple de demander la LGV à Toulouse mais de constater que le projet tel qu’il a été mis au débat public en 2005 par GPSO s’arrêtait à Saint-Jory. « Les élus ont découvert un peu tard qu’ils allaient avoir à leur charge le financement de la ligne mais aussi le raccordement qu’ils voulaient jusqu’à Matabiau. On a un peu oublié aussi que la LGV ne devait pas être un cul-de-sac mais aussi aller vers Narbonne, Lyon… Barcelone. »

 

Robert Marconis, professeur de géographie et spécialiste des transports a participé au débat du mois sur la LGV / Photo Carré d'info

Robert Marconis, professeur de géographie et spécialiste des transports a participé au débat du mois sur la LGV / Photo Carré d’info

 

Penser les flux et pas que les tuyaux

L’aménagement d’une gare LGV autour de Matabiau posera certains problèmes estime Robert Marconis, surtout au regard des échéances. Sera-t-on au rendez-vous en 2020 alors que l’on vient à peine de désigner Joan Busquets comme architecte du futur quartier autour de la gare?

« Pour un fonctionnement efficace de la métropole, ce n’est pas tout d’avoir des tuyaux mais il faut penser comment cela va fonctionner, penser les flux et les connections avec les autres modes de transport. Car pour attirer les investisseurs, les activités, il faut offrir une métropole qui marche. »

 

« Moi je dis ‘casse-cou’. Il y a des réalités à prendre en compte. »

 

Dans le nouveau dessin du réseau de transport toulousain, le professeur soulève plusieurs points de blocage:

  • Les trains régionaux.  Les TER qui desservent la région, qui connaissent un succès considérable et se multiplient. « Va-t-on pouvoir tous les faire arriver à Matabiau ou ne faut-il pas envisager de les court-circuiter sur des gares en périphérie comme Saint-Cyprien-Arènes, puis assurer des interconnections de transports urbains sans être trop dissuasif et sans parcours du combattant ? »  Multiplier les transports pour accéder au TGV découragerait les voyageurs. L’intermodalité entre transports de ville et trains est mieux acceptée par les voyageurs de TER.

 

  • La traversée de Toulouse et les possibilités qui existent.  »La tranchée Guilheméry » à Montaudran où passent les trains de marchandises est très limitée pour le géographe. Avec l’augmentation du trafic des TER, du fret, il serait peut-être intéressant de faire en sorte que les marchandises, notamment dangereuses puissent contourner Toulouse par une rocade ferroviaire dont les voies existent déjà.

 

  • Les villes secondaires de la LGV. « Les élus Toulousains n’ont pas suffisamment en vue ce qui a été décidé par ailleurs, à savoir l’installation d’une gare à Bressols – imposée par RFF avec l’arrêt d’un TGV sur deux – entre Toulouse et le sud de Montauban. Celle-ci n’est pas assez intégrée dans le tissu du réseau local, dans la planification urbaine et qui touche les gens de Seilh, Albi qui auront à prendre le TGV. » On ne penserait pas aussi à deux autres gares qui vont devenir intéressantes pour des habitants de la région : Agen et Montauban, comment seront-elles alimentées? Combien de TGV s’y arrêteront?  « Il n’y a pas de stratégie très claire à propos de ces gares. On a le sentiment qu’il n’y a rien d’arrêté alors que l’échéance est assez proche. »

 

  • La voiture persiste. « Quelque soit les efforts déployés sur les transports en commun, la voiture continuera de jouer un rôle important à Toulouse. » Robert Marconis compare à Matabiau, l’aéroport de Blagnac « et toutes les possibilités offertes de stationnement » tandis que l’on prévoit autour de la gare 400 places de parking.  « Moi je dis ‘casse-cou’. Il y a des réalités à prendre en compte. » Il faudrait que la gare reste accessible par la route même avec des transports collectifs très développés.

 

La menace du quartier fantôme

« Comme ni l’enquête publique, ni le financement n’est réglé pour la partie Bordeaux-Toulouse, on peut craindre un décalage important dans le temps entre l’arrivée du TGV à Bordeaux (tronçon Tours Bordeaux en 2017) et la desserte de Toulouse, et donc une attractivité forte de Bordeaux au détriment de Toulouse – ça existe déjà », quand bien même les voyageurs au départ de Toulouse gagneront du temps avec un Paris-Bordeaux en deux heures.

Nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau Compans-Caffarelli, remarque Robert Marconis, faisant ainsi référence à ce quartier d’affaires qui a peiné à se remplir et au centre commercial vide, pourtant à deux pas d’une station de métro. Pour le quartier Matabiau, il a été décidé d’un quartier mixte avec des habitations et des bureaux et commerces.

« Ce qui fait le succès des développements, ce sont nos pratiques. La mixité envisagée par les élus peut ne pas exister. »

 

« L’idée d’un pôle multimodal avec de l’habitat concentré sur l’avenue de Lyon et Raynal ne me parait pas gagné. Il  y a un axe actuel de circulation fort, qui part de Wilson, avenue Jean-Jaurès puis l’avenue Pompidou et qui va jusqu’à la Roseraie. On ne change pas des pratiques, ce sont les pratiques des habitants qui remettent en cause ce qui a été prévu pour eux. Par exemple la place Occitane, conçue pour les passants, avec des terrasses est peu fréquentée. »

Le nouveau quartier Raynal est donc un projet séduisant, avec des opportunités foncières pour construire mais rien ne nous dit que les gens investiront ces lieux. « Il y a encore des locaux commerciaux disponibles à la ZAC des Ponts-Jumeaux ou encore à Montaudran. En revanche Labège ou Blagnac sont des centre-ville bis. Ce qui fait le succès des développements, ce sont nos pratiques. La mixité envisagée par les élus, peut ne pas exister. »

 

Les réactions des auditeurs

Présents au débat, de simples citoyens mais aussi des militants anti-aéroport Notre-Dame-des-Landes, des représentants du lobby Eurosud transports ou encore des cheminots syndicalistes. Parmi les nombreuses interventions, les participants ont soulevé plusieurs aspects.

  • l’aspect financier de la LGV : « cela représente un sacrifice financier pour toutes les collectivités. Elle coûte 30 millions par kilomètre, l’équivalent de deux maisons de retraites ou de 4 collèges. Ne vit-on pas au dessus de nos moyens? »
  • une fréquentation confidentielle: « 93% des voyageurs n’empruntent pas la LGV. Ce sont plutôt des cadres. »
  • des trajets qui paraissent insensés: « une fois la LGV prévue, chaque collectivité veut sa gare, qui au final se retrouve parfois en rase campagne. De plus les trains ne desservent pas toutes les gares, se sont des ‘trains drapeaux’ »; par exemple, pour faire Reims-Metz en TGV il faut repasser par Paris. Robert Marconis a rappelé qu’aujourd’hui les décideurs calculaient les trajets en temps et non plus en kilomètres.
  • la polarisation : « ne faut-il pas plutôt se connecter depuis Toulouse à l’Espagne et le Sud-Est plutôt qu’avec Paris? »
  • la menace du deuxième aéroport ? : certains estiment que s’il n’y a pas la LGV, ce sera un deuxième aéroport à Toulouse. Pour d’autres auditeurs, c’est oublier tous les autres modes de transports. « Tout le monde n’est pas obnubilé par la vitesse !»

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